mardi 8 décembre 2009

Quelle heure est-t-il ?

Certains souvenirs s'accrochent à ma mémoire comme un vieux chewing-gum à mes semelles de crêpe. Je ne peux m'en défaire, ou pour être tout à fait honnête, je ne fais rien pour les gommer.
Une musique, une image et tout revient avec la netteté d'une optique japonaise!
La preuve en exemples. Le Canto General de Pablo Neruda mis en musique par Mikis Theodorakis me ramène inexorablement en Hongrie.
1990, je rentre dans Budapest avec ma petite camionnette blanche, un tramway jaune longe la rue, il glisse à grand bruit sur le rail qui le guide. Je suis enfin à Budapest où j'entend l'écho de la révolution de 56, je perçois encore ses secousses, j'entends encore battre son pouls... les blindés pénètrent de tous cotés, à 4 h 20, Imre Nagy lance un appel : «A l'aube, les troupes soviétiques ont déclenché une attaque contre la capitale, avec l'intention évidente de renverser le gouvernement légal de la démocratie hongroise. Nos troupes combattent. Le gouvernement est à son poste. J'en avertis le peuple hongrois et le monde entier».
De mon autoradio à K7, monte un chant, un cri déchirant, la force vivante et grandiose de la terre, la Voix de Maria Farantouri : aqui viene el arbol, el arbol de la tormenta...Voici venir l'arbre, c'est l'arbre de l'orage, l'arbre du peuple. Ses héros montent de la terre comme les feuilles par la sève, et le vent casse les feuillages de la multitude grondante...
A jamais, les mots de Neruda et de Théodorakis me ramènent à Budapest, comme Waiting for the night de Dépêche Mode me replonge à Bucarest en 91.
Je descend du bus, rue Popa Nan, pour rejoindre la rue Delea Noua. Il fait froid, il y a de la neige grise sur le trottoir défoncé. Je grimpe quatre à quatre les marches en ciment de l'escalier, je rejoins ma petite chambre chez l'habitant. Je me déchausse et pose mon anorak sur le lit cosy. En regardant par la fenêtre, couverte de givre, j'ai vue sur une station service désaffectée, avec sa vieille pompe à essence. La nuit tombe glaciale et grise sur la ville éventrée de chantiers fantômes, derrière-moi grésille le poste de radio : I'm waiting for the night to fall, i know that it will save us all, when everything's dark, keeps us from the stark reality... J'attends que la nuit tombe, je sais que ça nous sauvera tous, quand tout est noir, ça nous protège de la brutale réalité...
Aujourd'hui l'I.pod distille les notes... alors, monte une odeur de tsuica, un alcool de prunes que l'on a mis à chauffer dans une casserole, sur le réchaud. Le verre est encore brûlant, il réchauffe les mains et le corps. Il y a une Dacia garée en bas, dans la rue, on la devine rouge sous sa bâche. La nuit tombe sur Bucarest. Ici il est midi, et j'ai froid !
Texte dédié à Jean-Louis Calderon, journaliste, décédé le le 24 décembre 1989, écrasé par un char à Bucarest alors qu'il couvrait la révolution en roumanie pour La Cinq.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts with Thumbnails