mardi 29 juin 2010

Paresse...

Je rêverais d'avoir le temps. Je coincerais alors une bulle méritée, les pieds sans vergogne posés sur une table basse, l'air de rien au coin des yeux, l'art de rien faire au coin du coeur. Doucement bercée par le temps qui passe, je laisserais Rostropovitch me tordre l'âme sous les assauts d'archer du prélude de la suite n°1 de Bach, tandis qu'une hirondelle inspirée dessinerait un vol d'arabesques. Les minutes s'inventeraient des éternités de légende et ma montre bracelet s'enroulerait mollement, autour de mon poignet, elle n'indiquerait plus l'heure, elle serait là pour la décoration! Je regarderais les volutes d'un Partagas n°4 monter lentement dans le ciel clair, et s'enrouler comme un nuage, autour d'une branche. Même la fourmi s'octroierait une pause, elle arrêterait d'engranger ses réserves d'hiver et prendrait ses aises sur mon bras, les antennes en éventail. Le vent se ferait paresse, évitant les rafales, juste un souffle léger pour caresser la joue qui passerait sans même froisser une mèche. Il y aurait dans l'air des senteurs d'origan et de citronnelle, des nuances de frésias et des arômes de noisettes. Il n'y aurait rien à faire et pas grand chose à penser, il suffirait d'être, à ce moment du jour arrêté. Divine paresse qu'aucun remords ne vient troubler, être à soi même et s'en vanter! Un panama en guise de visière, dessinerait une persienne couleur paille devant les yeux, inventant des espaces vides, que rien ne viendrait combler. Laissez aux autres le soin de s'agiter, et en finir avec les courses folles, s'arrêter. Entendre son coeur battre la mesure du concerto d'exister, s'écouter respirer. Ah, la belle idée que de faire du sur-place et de ne plus avancer! Plus un mouvement, juste l’oscillation lascive du hamac en chanvre, qui à peine se balancerait. Oser le vagabondage de l’âme en solitaire, dans le silence d’un soir d’été, où le soleil lambinerait à se coucher. Ennivrante sensation de n'avoir rien à faire que de contempler, les eaux lentes et les ombres entremêlées. "Là, le bruit des vagues et l'agitation de l'eau, fixant mes sens et chassant de mon âme tout autre agitation, la plongeaient dans une rêverie délicieuse." Oui, je rêverais d'avoir le temps!

lundi 14 juin 2010

Kaguyahime

A Marie-Agnès , qu'elle puisse trouver dans ces quelques lignes, le modeste témoignage de mon immense admiration et de mon amitié fidèle!
Kaguyahime, princesse, belle comme la lumière diaphane de la lune pleine, puissante comme la tige de bambou dont les Dieux lui firent un berceau, lente comme un silence suspendu...
Marie-Agnès Gillot, danse et se fractionne en mille petits éclats de poussière d'étoile. La princesse passe, enveloppée d'une beauté indicible, une éclipse éclatante, une tourmente d'émotions. Là où la princesse trace un sillon prometteur de paix pour les Hommes, elle ne sème que convoitise et chaos. Le monde résonne du fracas des combats, vacarme assourdissant des jalousies meurtrières, où les tambours s'acharnent en recouvrant la méditation des flûtes.
La beauté s'incarne, et l'Homme se désagrège en perdant la raison. La pureté affronte la tentation. Les démons s'en prennent aux anges.
Le corps de Marie-Agnès se fragmente dans une arythmie séquencée. La princesse tient dans sa main le monde qui bascule. Marie-Agnès ne danse plus, elle écrit avec son corps, les symboles d'une humanité perdue, une épître du ciel, le SHODO: la Voie par la calligraphie, en blanc et noir, Yin et Yang, le début et la fin! Elle se balance, sur le fil fragile qui relie deux mondes, où le vide prend tout son sens. Dans le chaos, elle reste encore la Proportion.
Jiri Kylian, chorégraphe: " le cœur du sujet réside moins dans le récit que dans les thèmes qu’il évoque : la beauté qui suscite l’amour mais engendre aussi la jalousie, la guerre et la destruction… autant de sentiments qui jalonnent toute l’histoire de l’humanité et qui touchent chacun intimement. Je procède par abstraction, jusqu’à trouver une résonnance universelle et les nuances qui saisissent nos émotions contradictoires. La danse passe par le concret du corps, qui travaille, sue, souffre, tout en cherchant une dimension métaphysique."
Voilà pourquoi Marie-Agnès Gillot, danseuse étoile à l'Opéra de Paris, est sublime : elle travaille, souffre et sue en puisant en elle même, la dimension ultime qui nous rend si puissant: l'émotion!
Le soir de la générale, à l'Opéra Bastille, elle emportait tout sur son passage, un vent de tornade à travers les bambous, sous les lumières opales de la lune...
La tempête apaisée, les musiciens du palais ont suspendu leurs costumes de soie sur les cintres du ciel, la lune profite d'un nuage pour aller faire un tour. Je retrouve Marie-Agnès, dans un restaurant japonais où nous refaisons le monde, encore, du bout de nos baguettes. La princesse a le corps fourbu, les pieds mâchés, les muscles en compote, et la nuit du pays du Soleil Levant a laissé comme une ombre autour de ces yeux noisette. Kaguyahime, pense déjà à la Première qu'elle dansera demain, un ballet mi-Dieu, mi-homme. A cette heure avancée de la nuit, elle ne sait pas encore qu'un cyclone d'applaudissements se prépare, où le public debout, va rappeller mille fois son étoile!

lundi 7 juin 2010

Eternels instantanés

Woman, I can hardly express,
My mixed emotion at my thoughtlessness,

L’été d’il y a trente ans, commence par une mélodie de Lennon.
Un été jean et packman, illuminé de vingt bougies et saupoudré de grains de sable chaud. Des illusions plein les poches, dans une Europe emmurée, des livres plein la tête que la Tramontane feuillette lascivement et les mélodies de Joan Baez qu’on arpège dans la nuit, autour de patates en robe des champs que couve un nid de braises. Des petits cailloux blancs se glissent parfois dans la sandale, sur le chemin pentu qui mène aux falaises. On plonge dans l’eau claire et glacée pour remonter de petits morceaux de nacre rosé qu’on portera au cou une partie de l’hiver. La peau exhale des senteurs de verveine citronnelle, ou de chèvrefeuille, et dore comme un petit pain dans le four aux premières expositions au soleil. Un été de vingt ans banalement unique et rare, dont on suppose naïvement, qu’il va durer cent ans! Ma cinquantaine y pense encore…
Comment parcoure-t-on le chemin qui mène à aujourd’hui ? Avec quels bagages ? Qui rencontrons-nous, de quoi se charge-t-on, que laissons-nous sur le bas-côté, qu’apprenons-nous en route ? Sait-on bien où l’on va ? Mystère ! On perd parfois des compagnons en route et voilà qu’au croisement nous attend, assis sur une borne, un ami de toujours...
Philippe est devenu photographe. Ni professionnel, ni amateur, non, photographe ! Un artiste qui en libérant les perspectives, emprisonnent les émotions dans sa boîte noire. Vous, vous traversez simplement la rue pour rejoindre le boulevard, et lui, voit des géométries que le béton trace au cordeau, dans l’ombre du soir. Les pieds dans l’herbe du parc, vous regardez au loin, lui, s’accroche aux ailes blanches d’un cygne et déclenche à l’instant précis, où le cou gracile de l'animal se tord en un anneau. Il est partout, l’œil aux abois, la sensibilité à fleur des peaux pour réinventer les corps. Il se joue des ombres et se faufile dans l’entre-deux de la lumière.
Il y a comme un déchirement dans son travail photographique, une fissure dans la linéarité du bonheur, une indéfinissable craquelure par laquelle s’échappe un peu le monde, cru et sans voile.
Derrière l'esthétique absolue, les fêlures insoupçonnées; derrière la beauté des corps, l'ombre des âmes; derrière les regards, des questions... quelque fois sans réponse. Qui pause s'expose et livre sans crainte des parcelles infimes de son intime. Pas de jeu de cache-cache et pas de faux semblants, il dit l'essentiel, souvent en noir et blanc...
Trente ans plus tôt, il fredonnait Lennon:
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