jeudi 17 décembre 2009

Pleurer sous cape.

Arrivée à la Havane. Première rencontre dans la chaleur humide d'une ville aux illusions perdues. On a mis de la couleur sur les crevasses des immeubles rongés d'une lèpre grise. Tout est lent, brumeux, comme les volutes du cigare qui envoient vers le ciel un vengeur pied de nez à des années d'abstinence tabagique. Dans la fabrique, on s'active comme dans une ruche. Femmes et hommes, alignés devant des tables en bois, l'oeil aiguisé pour le tri des capes, et la langue bien pendue partagent des brins de vie, que couvre à peine la musique nasillarde qui hoquette du haut-parleur. Les doigts experts des écoteuses déchirent la feuille de tabac entre le pouce et l'index pour enlever la nervure centrale. Les rouleurs, avec dextérité, s'enorgueillissent des plus belles pièces, ils manient la chavette sans la moindre hésitation pour couper le bord des feuilles. Rouler, étirer, lier, on a l'impression de joueurs professionnels qui battraient d'innombrables jeux de cartes. Les hommes sont tous en débardeurs, on voit sous la peau couleur de cannelle, les muscles qui tressaillent au moindre effort. Une femme, rie aux éclats en enfouissant une mèche noire sous son bandana couleur soleil. J'ai ramassé un petit bout de feuille sur le sol et je l'ai glissé dans la poche de mon jean, j'emporte un peu de l'île. Plus tard, je fermerai les yeux, les mains dans la poche et la feuille, devenue sèche, se froissera, Cuba sera loin et j'en garderai la trace sur mes doigts. Pour l'heure, je termine mon café noir, au nez et à la barbe de Fidel, qui pose au dessus du comptoir du bar de l'usine Partagas. Des pensées me titillent la mémoire, comme une poignée d'orties. Je suis venue chercher le CHE, je le suis à la trace, comme un setter irlandais derrière une bécasse, un chasseur de rêves fracassés et d'utopies broyées. Je dois terminer d'écrire cette histoire que j'ai commencée il y a des mois, et qui dans mes carnets s'est brusquement arrétée à : Che, trois lettres qui claquent comme un éternuement, tu rôdes autour de moi depuis longtemps, je n’ai pas voulu jouer avec ceux qui t’épinglent sur le mur d’une chambre. J’ai juste voulu marcher vers toi. Dans mes nuits longues, entre les mots de ton journal, ta rencontre m’a été fatale, là où La Piojera coule encaissée *...
Des points de suspension, une route barrée. J'expire une fumée, qui monte lente et bleutée. Des volutes en forme d'anneaux viennent s'enrouler autour des pales du ventilateur et puis s'en vont... je protège ma rêverie avec la main, je ne veux pas partir et je ne vais pas rester. La nostalgie a pris le tabouret libre, juste à côté de moi, elle s'est servi un rhum, qu'elle a pris "cul sec", elle s'est resservie une rasade, elle m'a regardée droit dans les yeux, et d’une voix cassée, un peu ivre, elle m’a dit comme en secret :
- c'est demain que j'avais vingt ans!
* à paraître.

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