samedi 26 décembre 2009

Marguerite Duras, je vous attendrai à Sadec

On avait demandé à Marguerite Duras, d’interviewer des enfants. Elle les avait rencontrés dans une école, mais très vite, elle choisit de les rencontrer en dehors du cadre scolaire : ils avaient peur, entre les murs de l’école, peur de dire des bêtises, de mal faire. Ils étaient hypothéqués.
Marguerite, sans enfantillage, patiente et attentive, recueille leurs avis et leurs pensées.
- quel âge as-tu ?
- j’ai six ans
- pour toi, qu’ y a-t-il de plus beau dans le monde?
- un petit beurre !
Sourire de Marguerite qui poursuit,
- Crois-tu qu’un jour les voitures voleront ?
- Non, peut-être un vent violent, un vent très fort pourra les propulser. Mais il faudrait un vent vraiment terrible !
Silence de Marguerite, que j’imagine, emportée au coeur d’une tornade, à l’arrière d’une Moris-Leon- Bollé.

J’écrivais dans Viento, que vous vous perdiez parfois dans des monologues sans fin, oui, une petite fille, perdue à jamais. Au milieu des enfants, j’aime vos silences, votre souffle qui trahit la surprise, devant la gravité de certaines réponses, il y a de la connivence entre vous.
J’ai dit aussi, que vous me manquiez, vos mots, vos amours, vos excès, vos livres… alors je pars Marguerite, dans quelques jours je serai à Vinh Long et Sadec, je vous verrai descendre du car, sur le bac , vous irez jusqu’au bastingage, vous regarderez encore une fois le fleuve : Ma mère me dit quelquefois que jamais, de ma vie entière, je ne reverrai des fleuves aussi beaux que ceux-là, aussi grands, aussi sauvages, le Mékong et ses bras qui descendent vers les océans.
Je rejoindrai le Delta des neuf dragons, où La Mère s’est ruinée à lutter contre le Pacifique. Là, dans l’humide torpeur du jour, où les sampans glissent sur le Mékong, où les rives se perdent dans les rizières, je vous emmènerai Marguerite, et vous vous souviendrez : la lumière tombait du ciel dans des cataractes de pure transparence, dans des trombes de silence et d’immobilité. L’air était bleu. On le prenait dans la main. Dans quelques jours, Marguerite, je vous ramènerai, est-ce que l'ombre de l'auto noire, longera les haies de jasmin en face du Lycée Chasseloup-Laubat? Aurez -vous le chapeau d'homme d'« enfance et d'innocence », au bord plat, en feutre souple couleur bois de rose avec un large ruban noir, et vos souliers de bal, très usés, en lamé noir avec des strass. Serez au rendez-vous Marguerite ?

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