vendredi 4 décembre 2009

Pas de porte

Des déferlantes jaunes de colza en fleurs cernaient le village médiéval. Pas une once de vent, un ciel à peine moucheté de nuages blancs et des insectes volubiles donnaient le ton de cette journée de printemps. La grand rue, pentue et pavée, les ruelles étroites, la petite place ombragée, l'église romane aux voûtes sobres, la charpente sombre et massive de la halle, chaque pas nous réservait une surprise. Il suffisait de marcher, lentement, les sens en éveil, pour profiter à chaque instant de la beauté troublante et tranquille, de ce village qui jouait à chat perché au dessus de la plaine. En contournant l'ancien lavoir et après avoir vu détaler devant moi quelques chats dérangés dans leur sieste, je remontais vers les remparts quand j'aperçu une maison. Elle comportait un étage, où l'on pouvait encore voir un reste de colombage. La porte était basse et étroite, comme si le propriétaire eut exigé de chaque visiteur, une humiliante courbette afin d'en franchir le seuil. La porte solide et renforcée de clous, gros comme le pouce était équipée d'un heurtoir. J'étais frappée par un iconoclaste paillasson en forme de coeur, élimé et recouvert d'une poussière blanche. La carpette incongrue, étalait sa tâche rouge carmin devant l'entrée. Comment le maître des lieux pouvait-il exiger qu'on s'essuie ses semelles, sur ce drôle de tapis? Chaque jour donc, et surtout les jours de pluie où la bruine incessante attristait les rigoles, les visiteurs de notre anonyme propriétaire, se séchaient les bottines, sans vergogne, sur ses ventricules de feutrine. Pire, lui même frottait peut-être ses brodequins couverts de boue sur le tapis. Quel chagrin d'amour l'avait-il condamné à se laisser ainsi piétiner le coeur à chaque retour de promenade ou de commissions? J'éprouvais une immense compassion pour cet homme ( à mes yeux il ne pouvait s'agir que d'un homme), qui acceptait ainsi de voir son amour foulé au pied. Il avait du, sans doute, souffrir beaucoup, à cause d'une femme inconstante et qui l'avait trahi. Pour ne jamais oublier qu'aimer peut faire souffrir, il avait découpé, dans un tissu de velours sang, la forme de sa peine, pour la déposer sur le pas de porte, devant sa maison.
Depuis lors, il guette par la fenêtre le moindre visiteur, et dès l'entrée, crie d'une voix forte:
- n'oubliez pas de vous essuyer les pieds.
Il croit, dur comme fer, que son chagrin d'amour, peut partir en poussière.

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