lundi 14 décembre 2009

Arithmétique silencieuse

J’écris beaucoup, dans les avions et dans les trains, mon imagination n’aime pas faire du « sur place », et on y fait d’insolites rencontres.

Dans l’AVE, (le TGV espagnol, au si joli nom d’oiseau), ma voisine, par exemple, a un forfait téléphonique illimité.
Sachant qu’un train partant de Séville à 18h45 met exactement 2h30 pour rejoindre Madrid, que nous sommes partis depuis une heure et quinze minutes, que la dame a entamé sa conversation dès le départ de la rame, calculez depuis combien de temps la voyageuse importune ses voisins. Vous avez deux secondes avant que je relève la copie.
Son interlocuteur lui, est muet, parce qu’il n’y a aucune plage de silence. La dame téléphone à un muet, qui pour comble de malheur n’est pas sourd ! Ou bien, il n’est déjà plus à l’autre bout du fil. C’est sans doute ça, il a posé le combiné et il est allé faire un tour. Elle, elle déblatère dans le vide pour ne pas sauter dedans ! Je guette l’arrivée d’un tunnel salvateur et la coupure de réseau, mais le muet a raccroché, désarçonnant la pipelette ! Qu’à cela ne tienne, on ne l’a fait pas à un moulin à paroles, elle enfourne dans le pavillon de ses oreilles, des écouteurs très design. Ouf, une seconde de plus dans le silence et elle aurait été obligée de se mettre à penser ! Elle écoute sa musique, dont me parvient des crissements de sauterelles affamées, tout en feuilletant un journal. Voilà, tous les sens sont quasiment occupés, puisqu’elle croque en même temps une barre chocolatée et exhale un parfum bon marché aux extraits de vanilline. Plus rien de ce qui se passe autour ne peut rentrer à l’intérieur, elle s’est emballée sous vide !
Le tunnel salvateur est arrivé, elle en a profité pour se recoiffer dans le reflet de la fenêtre. Elle a relâché ses cheveux une fraction de seconde, avant de les attacher avec un gros élastique couleur de prune. Elle a de belles mèches qui brillent comme les châtaignes sous le soleil pâle de l’automne, un trait de Khôl, noir, souligne son regard, sa peau a gardé le hâle de l’été. A l’instant où elle a relevé ses cheveux, elle n’avait plus besoin de parler, elle était juste belle et gracieuse. Puis, elle a mis son index dans la bouche et dans une grimace elle a détaché un petit morceau de confiserie collé sur ses dents. Voilà pourquoi j’avais tant aimé les saintes des icônes byzantines, elles n’étaient pas gourmandes ! Sur ce, le soleil a dégringolé sur les collines, et, la plaine, que le train lacérait sans vergogne, s’est incendiée en un éclair... et en silence!

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