jeudi 21 janvier 2010

Marguerite Duras, vous étiez bien au rendez-vous!

"C'est donc pendant la traversée d'un bras du Mékong, sur le bac entre Vinhlong et Sadec dans la grande plaine de boue et de riz du sud de la Cochinchine, celle des Oiseaux...". Dans quelques minutes, va s'avancer une Moriss Léon-Bollée, noire. Marguerite ne sait pas encore que ce bac va l'a faire traverser de l'autre côté de son enfance. Appuyée sur le bastingage, elle voit sous ses yeux se lover les bras du fleuve à l'intérieur des terres. "Dans le soleil brumeux du fleuve, le soleil de la chaleur, les rives se sont effacées, le fleuve paraît rejoindre l'horizon. Le fleuve coule sourdement, il ne fait aucun bruit, le sang dans le corps. Pas de vent au dehors de l'eau. Le moteur du bac, le seul bruit de la scène...". C'est fini Marguerite, à cet endroit du fleuve, il y a un pont, qui tire une langue de bitume rêche aux bielles de ton enfance.
J'ai pris un bac, ailleurs, pour pouvoir traverser avec toi cette étendue d'eau qui te rapproche de toi même.
Sadec, "où ma mère dirige l'école des filles"... l'école est encore là, et les enfants, juste avant la récréation, ânonne une poésie ou une table de multiplication. Le lycée français à Saigon, les décors du film que vous n'avez pas aimés.
Je cherche l'infime partie de vous que vous avez laissée ici. Comme Long John Silver, je déchiffre, pas à pas, les signes que vous avez enfouis aux détours de vos lignes, pour me mettre sur la piste. J'ai vu les femmes aussi, porter le même bracelet de jade qui ne vous a pas quittée. J'ai senti la douceur de tussor de la peau de l'amant, quand le vent s'est mis à jouer avec mon foulard de soie. J'ai fait tout ce chemin pour aller à votre rencontre! Ceux qui ont lu Viento savent que vous me manquez, Marguerite. Marguerite de l'Indochine, dans Saigon aux odeurs entêtantes de jasmin, des tangos d'un soir dans la rue Catinat, des effluves d'opium, des maisons coloniales, des filles à matelots et des pensions de jeunes filles*... Voilà c'est fait, je suis venue au rendez-vous et vous étiez là, sous le chapeau bois de rose, avec votre robe de soie et vos chaussures de bal éculés. Vous étiez là et je n'avais plus rien à écrire, je voulais juste lire par dessus votre épaule, lire, toujours la même histoire recommencée, j'ai presque entendu votre voix altérée de l'alcool et du tabac me chuchoter : «L'écriture, c'est moi. Donc moi, c'est le livre».

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