mardi 24 novembre 2009

Souriez !

Le tablier impeccable, les cheveux plaqués à l'eau de Cologne, débarbouillée à la hâte au grand lavabo sous le préau, c'est le grand jour de la photo!
On se serre sur le banc du fond, où l'on peine à tenir l'équilibre. Devant, les petits fatiguent à force de croiser les jambes, la religieuse lisse son voile, le photographe s'impatiente. On ne bouge plus, souriez! Clic, clac, l'affaire est dans le sac.
A cet instant précis, le temps vient de s'arrêter. L'enfance laisse là, une empreinte indélébile. Quelques semaines plus tard, lorsqu'on reçoit l'épreuve, on jette un oeil avide pour voir comment on se trouve, puis on la met de côté. Sur le moment, on ne sait rien du temps qui passe...
Pourtant, sur la photo tout est dit, ou presque. Les timides essayent de regarder l'objectif sans rougir, les arrogantes gonflent le torse, les rebelles lancent un défi dans une oeillade, les coquettes minaudent et les premières de la classe continuent de rentrer dans le moule. Il y a des riches qui ont un col dentelle qui pointe sous l'uniforme, des crèves la faim aux joues plus émaciées, et une nonnette fière de sa couvée.
Plus tard, à l'heure des premiers cheveux blancs, quand il est encore temps de regarder en arrière, on ressort la photo en noir et blanc, mais on n'a noté aucun nom. Celle-ci , voyons, son père avait une épicerie, elle avait toujours des bonbons, attendez, je l’ai sur le bout de la langue, Hélène, Hélène… non décidément, on a trop cru en sa mémoire. Puis on se met à rechercher ses compagnes de classe, pour retrouver, dans ces petits morceaux d'enfance partagée, les signes de sa propre histoire. On s'est perdue de vue, on se reconnaît à peine, mais on ne veut pas rompre le fil ténu qui peut encore nous ramener en arrière... Les heures à regarder plus loin que la fenêtre, les sauts à la corde dans la cour de récrée, les dictées lentes et monocordes, les cercles de craie tracés de main de maître , les divisions à quatre chiffres et nos ancêtres si gaulois. Les confidences, échangées sous le platane de la cour, reviennent comme l'écume du ressac et les serments d'amitiés éternelles bien enfouis six pieds sous terre. Mais la photo est là, laissant à portée de main, les rouleaux de réglisse, les plumes sergent major, les encriers de porcelaine et les départements dont on connaît même les préfectures. Nous ne frémissons plus de trac, derrière le rideau de velours, les derniers jours de juin. Nous avons oublié les vers de Molière.
On a beau l'enfouir dans son coeur, il reste toujours quelque chose de l'enfance, toujours.

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