lundi 8 mars 2010

Douceurs de pluie

Il pleut, encore... Quel souvenir de pluie garde-t-on en mémoire?
Je me revois dans les années soixante, en ciré bleu marine, le chapeau dégoulinant de pluie froide, devant la boutique de Madame B. J'ai trouvé une pièce de 1 franc sur le trottoir. J'arrive presqu'à dessiner du bout de l'ongle, la silhouette gravée de La Semeuse, qui ensemence la fortune tout au fond de ma poche. Bon sang, c'est qu'un franc, c'est une sacré somme ! Voyons, avec un franc on peut acheter dix Carambars, ou bien cinq de ces coquillages remplis de sucre qui entament la commissure des lèvres. Peut-être pourrais-je faire un mélange savant de nounours guimauve, de boîte de poudre de coco, de rond de réglisse, de sachets Mistral, et de Carensac, peut-être du Zan... La pièce joue à pile ou face, sous mes doigts, devant la vitrine de la librerie-papeterie, teinturier et dépôt de pain, couverte d'une buée épaisse, qui m'empêche de lorgner les roudoudous. En ouvrant la porte vitrée, les clochettes du carillon me donnent bien le bonjour! Le ciré ruissèle et chaque goutte dessine des ronds sur le parquet, qui grince sous la semelle des bottes en caoutchouc. Madame B sent la pomme d'api, elle porte un cardigan en laine des Pyrénées, sur son impeccable blouse blanche, devant elle trônent des rangées de bocaux transparents, débordant de bâtons de réglisse, de gélatine multicolore et de berlingots aux arômes d'anis. 1 fr, la voilà ma fortune, un de ces anciens nouveaux francs, qui me transformait en princesse guimauve, dans le château des mille et une douceurs. J'entends encore l'averse tambouriner à la porte de ce royaume infranchissable, j'ai encore dans les yeux le brouillard que les perles d'eau déposaient sur mes cils, les cheveux ruisselants et la fraîcheur de l'averse sur les joues. Je sens fondre sous ma langue, les acidulés et les caramels blonds, les saveurs de fruits rouges réinventées, la vanilline, le chocolat au lait, et les arômes de pastilles de menthe que la chance avaient déposés aux portes de mon palais. J'emportais mon trésor, ma rançon de gloire éphémère, ma richesse d'un jour dans une poche de papier couleur bouchon de liège, où Madame B enveloppait aussi les petits pains. Dehors, j'ai rajusté le chapeau de tempête et j'ai couru à perdre haleine, sautant de flaques en flaques, bondissant comme un cabri sous l'orage, pour savourer, à l'abri de la pluie, le merveilleux butin gourmand.
Chaque fois qu'il pleut, me vient alors d'irrésistibles saveurs sucrées sur le bord de la langue : "La pluie fait des claquettes, sur le trottoir à minuit, parfois je m'y arrête, je l'admire, j'applaudis..."

1 commentaire:

  1. bonjour Maria,
    comme je partage ce goût du bonbon tombé du ciel!!
    chez nous, lors d'un baptême les parrains jetaient sur le parvis de l'église des pièces de monnaie.J'avais la chance d'habiter en face. Le rituel nous imposait de crier"au parrain rascous! au parrain rascous!"tout en nous disputant les pièces tombées au sol. Cet argent, devine? allait directement chez ma Mme B à moi. Ton post m'a ramenée à tout cela et je t'en remercie.
    Maryse(constellations)

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