dimanche 7 février 2010

Le torero n'a pas sommeil

Il est seul depuis longtemps, depuis la sieste. Un repos sans sommeil. Dans l’interstice que laisse "l'entre deux courses", des minutes volées à la peur et au doute, des mains tendues qui ne se referment jamais, des pas feutrés sur la géométrie des moquettes des chambres d’hôtel, des habillages sans fin, des larmes sous d’interminables douches, des meurtrissures au corps et à l’âme, la fraternelle compagnie des poseurs de banderilles qui vous sauvent la vie en silence, d’incalculables embrassades, des robes froissées qui laissent un sillage parfumé, parfois jusque sur l’oreiller, des kilomètres de bitume qui s’éternisent en soulignant la nuit d’une longue bande blanche. On le frôle, on veut le voir et le toucher, on le porte parfois en triomphe, jusqu’à se sentir à portée des étoiles… Puis parfois rien. Juste les courbatures d’un corps à qui l’on a trop demandé, la rugosité d’une toile de drap sur une cicatrice à peine refermée, les maigres saluts, les sourires entendus, l’effort qu’on ne sait pas récompenser. Des doutes à vous faire exploser la tête, des territoires entiers de rêves que l’on sait défendus. L’après-midi, suspendu à une boulette de papier mélangée à d’autres, dans un chapeau de feutre. Ce numéro qui sort et qu’on aurait tant voulu pour un autre…
Il est seul depuis longtemps, depuis la sieste. L'apaisement n'est qu'une parenthèse, un grand écart entre deux sommeils troublés. Sur la chaise, dans la pénombre où la persienne mal fermée joue avec les ombres, l'habit n'est pas encore de lumière, il est posé, tel une peau vide. A cet instant, où la réalité s'insinue sous les draps, la sueur âcre et froide coule le long de son dos, une eau du Diable, qui inocule le venin de la peur, maudite visiteuse qui ne se fait jamais annoncer!
Il va s'habiller, lentement, avec la méticulosité d'une mariée qui ignore tout de son promis. Un mariage d'irraison, consommé dans la fougue d'une éternelle première fois. Il va s'en remettre à la Madonne et à la litanie des saints, embrassant les médailles, effleurant les images pieuses, au cas où, et se signer encore, d'une croix fugace, car on ne sait jamais... La petite veilleuse fragile et vacillante, lentement se consume en volutes lentes et parfumées. Elle attendra son retour, fil d'Ariane qui le reconduira jusqu'à la chambre, s'il ne se perd pas dans le labyrinthe hanté par l'ombre noire qui guette, après, oui, s'il revient... peut-être !

2 commentaires:

  1. merci pour ces lignes qui nous emportent déjà dans les arènes.

    RépondreSupprimer
  2. FELICITATIONS POUR CE SUPERBE TEXTE QUI TRANSMET BEAUCOUP D'EMOTIONS.
    AUTORISERIEZ VOUS QUE NOUS PUBLIONS CE RECIT SUR LE BLOG DE MARC SERRANO.
    SALUTATIONS AFICIONADAS.
    BABETH ET HERVE

    RépondreSupprimer

Related Posts with Thumbnails