dimanche 4 juillet 2010

Cliché!

Ce n'était sans doute pas un jour comme les autres. Un jour où l'on trace au cordeau, les raies des cheveux mouillés d'eau de Cologne. D'habitude, les jumeaux reviennent hirsutes, la blouse maculée d'une boue grise des champs de bataille d'écolier et la grand-mère ne quitte pas sa caisse des yeux! Ce jour-là, on s'est aligné en rang d'oignons, fermé tous les cols de chemise, repassé impeccablement les tabliers, même le chien s'est invité à l'instant solennel. Ils ont "l'âme endimanchée". La photo, à cette époque est un moment rare, un instantané de luxe que l'on s'offre pour les grandes occasions, et que seul, le photographe, est capable de capturer à l'intérieur de son étrange boîte noire. Personne ne se doute, sur ce cliché, que des années plus tard, tout le monde se baladera, un appareil photo dans la poche. Des millions d'images circulent comme des électrons libres sur la toile, la sphère de l'intime explose, engloutissant les frontières entre vie publique et vie privée. Il y des photos moches, indécentes comme un trou de serrure que lorgne un regard torve, et cruelles comme les flaques de rimmel que l'on piétine sous un regard désespoir. Des images, acides comme l'arsenic au fond d'un verre d'eau plate, et celles que l'on jette en pâture à nos instincts de loups voyeurs. Il y a des photos de pub, sirupeuses comme le rose tendre d'un assouplissant ménager, et des mensonges sur papier glacé, où des adolescentes faméliques cachent leurs cernes pourpre sous l'argile rose de la terracotta. Des enfants agonisent, kaki et vermillon sur fond de poussière de sable, tandis que la Tour de Pise a un penchant pour des millions de touristes virtuels. On entre dans les pyramides comme dans un moulin et la Joconde, que Leonard a mis longtemps à peindre, se reproduit comme des petits pains! Dans cette débauche de stimuli oculaires, il reste aussi des regards. Des émotions, posées comme une goutte de rosée et capturées au vol par un diaphragme dans un soupir. Des regards subtils et exercés, que les choses du monde touchent encore. Des photos qui valent des mots, des jeux d'ombres aux allures de syntaxes, des contre-jour en forme de point d'interrogation, des gros plans qui se conjuguent et des portraits qui se font verbe! Robert Capa, répétait souvent:" si vos photos ne sont pas bonnes, c'est que vous n'êtes pas assez près!". Voilà donc le secret, l'approche et la proximité, le contraire d'un éloignement, l'interdit de la distance. Fixer l'instant qui nous rend proche... et pourtant quelque chose nous échappe, toujours... "Je suis triste de ne pouvoir photographier les odeurs. J'aurais voulu hier, photographier celles de l'armoire à épicerie de Grand-Mère!", Lartigue.

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