lundi 12 avril 2010

Désaffection

Les vieilles usines désaffectées sont tristes. Elles ont des cheminées en brique qui ne fumeront plus et des murs sans yeux. Les herbes folles perdent la raison, à force de s’enrouler autour des vieilles poutres et les cloisons s’arcboutent sous les courants d’air. Les usines désaffectées trainent leur souvenir de travail comme de vieilles guenilles. Elles n’ont plus de toit, pour abriter la ronde des ouvrières, et plus de porte à claquer au nez de contremaîtres, les usines sont des navires fantômes sur un océan d’hier. Le train traverse la plaine, sans broncher, et longe ces cimetières sans nom du labeur. Autrefois, quand la sonnerie s’époumonait à annoncer la pause, les femmes sortaient souvent les dernières, les timbres des bicyclettes avertissaient les imprudents, on allumait la cibiche de tabac gris, roulée à la hâte et des grisettes entichées du nouveau tourneur-fraiseur au regard d’ange, jouaient des coudes pour se faire remarquer à la cantine. Il n’y a plus de carrés de cartons qui dessinent un arc-en-ciel de couleur près des pointeuses, les vieilles usines désaffectées ne mesurent plus le temps, elles en subissent les assauts sans mots dire. Oh certes, le travail était rude, les cadences harassantes et l’ouvrage éreintant, mais c’était toujours un travail bien fait, et dont on était fier.
Je me souviens de ce reportage, il y a quelques années dans la verrerie ouvrière d’Albi, qui fêtait alors son centenaire. La VOA, comme on l’appelle, qui fut la première Société coopérative ouvrière de France. Elle fut crée en 1896, après de longues grèves, par des verriers de Carmaux soutenus par Jaurès, qui, la force de convaincre rivée au corps, lançait d'une voix forte : « Sur cette rive à jamais illustre, vous avez élevé, citoyens, un temple que l’humanité considérera toujours comme le berceau de la liberté ! ». Voici les temples désertés, jetés en pâture aux lierres et aux mousses, aux araignées patientes, au salpêtre et à la "rouille aigrie du temps". Les vieilles usines, laissées à l'abandon s'enrhument au vent et toussent parfois, une poussière grise, lorsque des pans de mur s'écroulent. Les usines désaffectées font de la résistance, pour ne pas mourir dans la mémoire des Hommes.

1 commentaire:

  1. c'est un vrai bonheur de lire tes mots ! tu écris merveilleusement bien ! j'adore

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