mercredi 31 mars 2010

Vieillir, la belle affaire !

Les ridules se sont transformées en sillons profonds et sinueux, ils esquissent à présent, sur le visage, les sentiments de toute une vie. Combien de peines et d'interrogations, d'amertumes et de doutes, combien de détermination et de sourires, combien d'étonnement, le stylet du temps a-t-il sculptés ainsi dans l'ombre? Combien de coup de burins impitoyables, le Dieu Chronos a-t-il martelés sans cesse, pour dessiner ainsi les tortueux arcanes d'une seule existence? Voilà que le visage s'effondre, dégoulinant comme de la glace fondue, voilà qu'on ne se ressemble plus. Il y a bien dans l'incandescence du regard, la persistance des lueurs de l'enfance, mais le reste se chiffonne, comme un vieux costume d’alpaga trop porté. Oui, les joues sont froissées, comme le papier de soie dans un vieux carton à chapeau, et les paupières closes, comme les persiennes à l’heure de la sieste. Les lèvres, autrefois charnues et pulpeuses sous les baisers, retombent mollement autour d’un caramel, que les dents fatiguées ne mastiquent même plus. C’est à peine si le fard à joue parvient encore à estomper, d’étranges taches brunes, qui apparaissent peu à peu, comme de petites marguerites sur une tombe. La jeunesse a fait ses bagages en laissant deux lourdes valises sous les yeux.
Ce visage était le sien, elle ne se reconnait plus. Elle a beau se retenir, elle vieillit quand même !
Ce serait donc ça la vieillesse, une transparence, où tout se lit à ciel ouvert. « La possibilité de jeter le masque en toutes choses, est l’un des rares avantages que je trouve à vieillir ». La belle aubaine, voilà l’occasion à ne pas manquer, même pour tout l’empire du Botox, le royaume des Liftés ou le palais de Lipo Sucéh ! Vieillissons ensemble mes sœurs, lippe tombante et yeux gonflés, brûlons Monsieur Carnaval ! Ce peut être tout à fait délicieux de vieillir, juste si on y met un peu de bonne volonté ! On perd sans doute en élasticité dermique mais on gagne en Vérité.

dimanche 28 mars 2010

Sieste

Laisser le monde tourner sans nous... Basculer pour un instant loin des zones de turbulences et se laisser aller à la douce torpeur de l'après-midi. Suspendre le temps sur la corde à linge de la vie, et laisser sécher ses larmes, parfois. La tête lourde des tourments de nos coeurs, s'accouder à l'équilibre fragile du monde pour souffler un peu. Les paupières cherchent la pénombre, balbutient devant l'hésitation du sommeil et s'abaissent, comme les rideaux sur la scène, à l'heure de l'entracte. Nous voilà entre deux mondes, dans le couloir fragile du relâchement. A cet instant de ravissement extrême, où l'on dort sans dormir, où l'on veille sans résister, ce "cul entre deux chaises" de la conscience (voir Viento page 103), là, c'est le bonheur! Qui résisterait à cette merveilleuse somnolence qui envoie les emmerdeurs se faire pendre ailleurs? Qui laisserait pour tout l'or du monde, ce microcosme d'infinie douceur? Sentez le corps lâcher prise, au moment où, le flot ininterrompu des idées en tout genre, commencent à se tarir. Nirvana éphémère où l'Homme devient Sage. La voix des autres se fait lointaine, ce n'est plus qu'un ronronnement. Quel ravissant éloignement, quel délicieux isolement! Une trêve, mieux, une gourmandise volée dans la vitrine du temps qui passe et qui vous fait saliver d'avance. Oh ma sieste gourgandine, qui aguiche le passant sans même soulever un jupon! Bercé par la douceur de l'assoupissement, se prendre au jeu de l'indolence, reculez de trois case, passer son tour! Succomber à une nonchalance captivante et éhontée, sans tourment et sans rose aux joues. Voici l'instant sublime, le charme exquis d'un petit bonheur volé et de soporifiques extases. Voici la sieste, simple comme un bonsoir, délice à quatre sous, jouissance à la sauvette, somnolence qu'aucun Prince Charmant ne pourrait interrompre. Maudit changement d'heure, qui me vole un peu de cet oubli en milieu de journée!

jeudi 18 mars 2010

Non mais c'est pas bientôt fini ce silence !

En voyage depuis plusieurs jours, j'ai un peu de mal, à trouver une connexion à internet. Cette paresse technologique, m'emmène dans des promenades longues et sans but, j'y rencontre des gens qui se racontent, et croise de belles énergies... je savoure poissons et crustacés, vin tanique et tomates juteuses au goût de fruits. Il reste peu de temps pour écrire.
Alors Y'a pas d'mot, le blog de ceux qui aiment les mots, prends des chemins de traverse et s'offre l'école buissonnière!!
Profitant de cette accalmie, ma mémoire ingurgite les soubressauts du monde, les inscrit sur des feuilles volantes, qui prendront leur envol dans les prochain jours.
Merci de votre fidélité et de votre patience.
Rendez-vous dans quelques jours ... promis !

samedi 13 mars 2010

Jean Ferrat

Cher Jean,
Dans mon bureau, j'ai gardé la photo si gentiment dédicacée que vous m'aviez envoyée et je n'ai jamais oublié notre rencontre. J'en garde l'étincelle de votre regard et votre voix qui, en confidence, disait ce que vous pensiez du Monde. Parmi les fleurs et la bruyère d'Ardèche, vous aviez choisi un autrement... Vous guettiez les saisons, parcouriez la montagne, laissiez la fenêtre ouverte aux amours des éternels mois d'août et écoutez chanter la rivière.
Voilà plus de trente ans, que chaque jour, vos chansons, entrent dans ma maison. Elles passent pourtant, comme si c'était la première fois, et laissent toujours, une petite trace indélébile sur mon coeur et dans ma mémoire...

" Une odeur de café qui fume et voilà tout son univers
Les enfants jouent, le mari fume, les jours s'écoulent à l'envers
À peine voit-on ses enfants naître qu'il faut déjà les embrasser
Et l'on n'étend plus aux fenêtres qu'une jeunesse à repasser"
Mes jours à moi, remplis des mots de vous.
Ce soir je suis triste, les mots ni peuvent rien, et ceux que je voudrais écrire, sonnent creux en cognant contre la porte close de la maison d'Antraigues...

"Tu aurais pu vivre encore un peu, t'aurais pu rêver encore un peu, te laisser bercer près de la rivière, par le chant de l'eau courant sur les pierres, quand des quatre fers l'été faisait feu. T'aurais pu rêver encore un peu, sous mon châtaignier à l'ombre légère, laisser doucement le temps se défaire, et la nuit tomber sur la vallée bleue, t'aurais pu rêver encore un peu...
Cher Jean,vous auriez pu vivre encore un peu...

mercredi 10 mars 2010

Le facteur n'est pas passé...

On n'écrit plus jamais à personne. On ne se raconte plus, on se téléphone. Où diable est passée cette fébrilité impatiente , qui nous faisait courir jusqu'à la boîte aux lettres? Nous guettions alors, ce porteur de nouvelles, à l'uniforme élimé, qui d'un signe à sa casquette, nous souhaitait, quand il n'y avait pas de courrier, une bonne journée. La sacoche pleine, le messager poursuivait sa tournée, réchauffé par quelques gouttes de vieille gnole, qu'à cette époque, un parfait fonctionnaire n'aurait pu refuser.
Elle arrivait enfin, la missive attendue, que l'on décachetait, les mains tremblantes et le coeur à l'arrêt comme un fidèle chien de chasse.
Enfin des nouvelles de Vincent:
"Là - revenu ici je me suis remis au travail. le pinceau pourtant me tombant presque des mains et - sachant bien ce que je voulais j’ai encore depuis peint trois grandes toiles. Ce sont d’immenses étendues de blés sous des ciels troublés et je ne me suis pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse de la solitude extrême..."
et cette enveloppe bleue, un message d'Arthur :
"Nous sommes aux mois d’amour ; j’ai presque dix-sept ans. L’âge des espérances et des chimères, comme on dit, - et voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse, - pardon si c’est banal, - à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des poètes..."
Cette écriture, cette signature étoilée, c'est un petit mot de Jean :
"Les circonstances te permettraient de me suivre je passerais toute ma vie dans ce décor. L’hiver très doux à cause de la dune qui protège. Les villes me blessent - me séduisent - me contaminent - rien à faire lorsque je m’y trouve."
Aujourd'hui, mon facteur ne se déplace plus qu'en mobylette en charriant des monceaux de factures sans âmes, que j'aimerai ne jamais ouvrir. De toute façon il ne monte plus à cause du digicode.
Ecrivons-nous, prenons le temps de quelques lignes (au stylo plume) pour dire tout ou bien rien... Glissons la lettre dans l'enveloppe (parfumée serait un plus), choisissons un joli timbre et affrontons le vent glacial, pour glisser dans la boîte jaune, la surprise que l'autre n'attend plus. Rendons sacrés les mots qu'on n'écrit plus... Une lettre c'est comme un papillon, c'est une rencontre qui, sous l'apparence d'une circonstance fortuite, dit souvent l'essentiel, les yeux dans les yeux sans ciller.

lundi 8 mars 2010

Douceurs de pluie

Il pleut, encore... Quel souvenir de pluie garde-t-on en mémoire?
Je me revois dans les années soixante, en ciré bleu marine, le chapeau dégoulinant de pluie froide, devant la boutique de Madame B. J'ai trouvé une pièce de 1 franc sur le trottoir. J'arrive presqu'à dessiner du bout de l'ongle, la silhouette gravée de La Semeuse, qui ensemence la fortune tout au fond de ma poche. Bon sang, c'est qu'un franc, c'est une sacré somme ! Voyons, avec un franc on peut acheter dix Carambars, ou bien cinq de ces coquillages remplis de sucre qui entament la commissure des lèvres. Peut-être pourrais-je faire un mélange savant de nounours guimauve, de boîte de poudre de coco, de rond de réglisse, de sachets Mistral, et de Carensac, peut-être du Zan... La pièce joue à pile ou face, sous mes doigts, devant la vitrine de la librerie-papeterie, teinturier et dépôt de pain, couverte d'une buée épaisse, qui m'empêche de lorgner les roudoudous. En ouvrant la porte vitrée, les clochettes du carillon me donnent bien le bonjour! Le ciré ruissèle et chaque goutte dessine des ronds sur le parquet, qui grince sous la semelle des bottes en caoutchouc. Madame B sent la pomme d'api, elle porte un cardigan en laine des Pyrénées, sur son impeccable blouse blanche, devant elle trônent des rangées de bocaux transparents, débordant de bâtons de réglisse, de gélatine multicolore et de berlingots aux arômes d'anis. 1 fr, la voilà ma fortune, un de ces anciens nouveaux francs, qui me transformait en princesse guimauve, dans le château des mille et une douceurs. J'entends encore l'averse tambouriner à la porte de ce royaume infranchissable, j'ai encore dans les yeux le brouillard que les perles d'eau déposaient sur mes cils, les cheveux ruisselants et la fraîcheur de l'averse sur les joues. Je sens fondre sous ma langue, les acidulés et les caramels blonds, les saveurs de fruits rouges réinventées, la vanilline, le chocolat au lait, et les arômes de pastilles de menthe que la chance avaient déposés aux portes de mon palais. J'emportais mon trésor, ma rançon de gloire éphémère, ma richesse d'un jour dans une poche de papier couleur bouchon de liège, où Madame B enveloppait aussi les petits pains. Dehors, j'ai rajusté le chapeau de tempête et j'ai couru à perdre haleine, sautant de flaques en flaques, bondissant comme un cabri sous l'orage, pour savourer, à l'abri de la pluie, le merveilleux butin gourmand.
Chaque fois qu'il pleut, me vient alors d'irrésistibles saveurs sucrées sur le bord de la langue : "La pluie fait des claquettes, sur le trottoir à minuit, parfois je m'y arrête, je l'admire, j'applaudis..."

mercredi 3 mars 2010

Ecrire

Ecrire, partout, tout le temps. Remplir d'innombrables cahiers de pattes de mouche, noire comme l'encre noire de la Chine.
Ecrire, comme un écolier appliqué, tous les matins le nez plongé dans ses exercices, ou faire l'écriture buissonnière en emportant ses cahiers dans sa besace, là où le vent tourne lui même les pages. Ecrire, comme on fait des gammes, laisser les virgules et les points d'exclamation battre la mesure du métronome grammatical, pour qu'un jour la symphonie des nuances et des silences se glissent sur la page.
Ecrire, sans rien dire, au nez et à la barbe des passants devant la terrasse, qui jamais ne sauront qu'ils se promènent aussi dans les livres.
Ecrire, à en perdre son latin, quand les verbes et les accords tiraillent les accents et s'accouplent aux S majuscules.
Ecrire, dans le silence de la nuit, quand le monde endormi, ne sait pas qu'on l'épie et que les moindres soubresauts de la planète sont prétextes à des lignes remplies puissance n.
Ecrire, et dire un à un les visages, qui autrement un jour, se confondent et s'oublient.
Ecrire, les tâches salées des larmes qu'on aurait autrement ravalées, écrire les rires aussi, quand ils éclatent, clairs et spontanés.
Ecrire, à la plume sergent major, qui trace les pleins et les déliés en frottant lascivement sur le papier, la lame métallique à intervalle régulier.
Ecrire, les échos de l'enfance quand le clairon sonne la dernière charge de la vieillesse. Les mains nouées d'arthrose, racontent les étreintes d'autrefois, quand les doigts empoignaient les hanches des amants.
Ecrire, pour toujours, ne plus jamais s'arrêter. Ecrire à hurler, écrire à pleurer.
Ecrire, et oublier l'histoire, juste pour le plaisir d'écrire, jusqu' à faire mal, parfois.
Ecrire, embarquer les gens du livre, et les laisser dériver au fil des pages, pour qu'ils se racontent eux même. Oui, les laissez faire.
Marguerite Duras, qui derrière la transparence du cadre me regarde, me lance un regard cinglant:
- La plus forte histoire de toutes celles qui peuvent vous arriver c’est d’écrire. Je n’en ai jamais eues d’aussi violentes. Ecrire, D’où ça vient ? Il faut laisser faire quand on écrit, il ne faut pas se contrôler, il faut laisser aller parce qu’on ne sait pas tout de soi. On ne sait pas ce qu’on est capable d’écrire.

lundi 1 mars 2010

Brèves de comptoir

La serveuse apporte une assiette d’olives vertes, cassées, recouvertes d’une huile couleur d’ambre. Ovales et grosses, elles ont le goût de l’ail nouveau et du thym et du romarin. Posé sur le bar, le jambon sur son support de bois, laisse voir une chair brillante, d’un rouge sombre, striée par endroit de graisse blanche. J'en recommande quelques tranches, pour sentir le goût sauvage, des promenades à l'automne, au milieu des chênes. Au dessus du comptoir, on a suspendu des chorizos et des anneaux de boudins noirs et sur le mur de pierre, un vieux licol.
Accrochée à une patère, une canne, taillée dans du bois clair, attend son propriétaire. Le client qui l’a laissée, embrumé des vapeurs de Rioja, est reparti, droit comme un i, laissant près du comptoir, une infirmité qu’il a parfois du mal à oublier.
Je n’ai pas d’histoire à raconter, ce soir de match, où le Real Madrid affronte le Betis de Séville. Une quinzaine d’hommes, les yeux rivés à l’écran, tressaillent quand les joueurs s’approchent des cages de buts. Ils piochent aveuglément dans une coupelle, remplie de cacahouètes, que bizarrement ici on sert presque brûlantes. La serveuse, entre deux clients, passe son temps à remettre sa montre à l’heure, en souriant. J’imagine qu’elle s’amuse à avancer la fin de son service, elle se fait plaisir par anticipation. Elle est la reine du monde, elle maîtrise les aiguilles du temps qu’elle avance ou recule au grès de son humeur et des générations entières de patron ne peuvent rien y faire. C’est elle qui choisit le rythme de son temps. Son sourire, juste là, à cet instant, cette jouissance effrontée, est la plus belle chose qui me soit donnée à voir à ce moment !
Je pique avec la fourchette, de petits artichauts tendres, rissolés et couverts de gros sel. Le patron mâchonne un cure-dent et hurle « goooooooooooooooooal » quand le ballon frôle les cages et à chaque fois, le cuisinier sort en trombe de sa cuisine, une toque plate, posée de travers sur ses cheveux longs, noirs et bouclés,
- qui, qui, a marqué ?
Cette fois je goûte des petits morceaux de boudin noir, dont la peau craquelée laisse échapper une peau onctueuse et grasse à la saveur anisée et des fèves aux oeufs brouillés.
-gooooooooooooooooooooal !
Le cuisinier sort comme un fou de la cuisine, Seville 2 Madrid 1, les partisans du Real, crucifiés, hochent désespérément la tête. J'en profite pour commander un "tinto de verano", un vin rouge que l'on mélange à de la limonade.
L'entraîneur, multiplie les changements, et la serveuse, confrontée à la réalité du temps qui passe, s'effondre sur une chaise, un verre d'eau à la main... encore deux heures de pain sur la planche !
Rien ne sert de mentir, on doit partir à point.
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