jeudi 28 janvier 2010

Le Vaisseau Fantôme, escale Madrilène

Sur les côtes de Norvège, le navire de Dland vient de subir une violente tempête et s'est réfugié dans une anse. Tandis que tout dort apparaît un mystérieux vaisseau, aux voiles couleur de sang, qui lui aussi jette l'ancre. Un personnage en descend, drapé dans un grand manteau. C'est le Hollandais, un navigateur maudit. Ainsi commence le premier acte du Vaisseau Fantôme, l'opéra de Richard Wagner que j'ai vu vendredi soir, au Théâtre Royal de Madrid.
La musique a joué l'octave, ce jour-là. Comme tous les jours, je marche dans le quartier Salamanca de Madrid, d'un pas vif. Un froid sec, qu'un vent du nord escorte, glace mes joues, malgré le cache-nez que j'ai remonté sur mon visage. Les mains engourdies, enfoncées dans les poches, je cherche les trottoirs où un soleil de printemps nargue la fin janvier qui s'attarde, ce matin. La rue s'est contractée sous la claque glacée, les passants ne musardent pas aux vitrines, les chiens tirent sur les laissent pour regagner plus vite la ouate de leurs coussins, les fantômes de misère ne sortent pas les mains des sacs de couchage pour demander l'aumône, la boulangerie française qui fait l'angle sent bon le café chaud. Tout à coup, quelques notes d'accordéon, s'accrochent au coin d'une rue, un air ancien, du temps où les rengaines naissaient dans les faubourgs. Debout, adossé à une maison cossue, l'accordéoniste, un bonnet enfoncé sur les yeux, regarde le caniveau où l'eau se craquelle. Ses doigts martèlent les touches d'ivoire comme des automates. Je connais ce refrain, mais il me tire tellement en arrière, que j'en perd l'équilibre, il s'agrippe à ma mémoire et ne lâche pas prise, il m'a ferré, le bougre, et par saccade il cherche à me ramener vers des souvenirs, que je ne savais même pas encrés en moi. Ma grand-mère, penchée au dessus de l'évier, rince son torchon, mousseux de savon de Marseille, ses mains ont rougi sous l'eau froide, elle chantonne : la lune trop blême pose un diadème sur tes cheveux roux, la lune trop rousse de gloire éclabousse ton jupon plein d'trous...Quelques notes, un accord ont suffit pour transporter au coin de la rue, la cuisine de mon enfance, qui s'emplit d'odeurs de cacao chaud et de tartine de pain blanc.
Je reste transie autour d"hier qui n'existe plus.
Le soir, les premiers accords de Wagner montent de la fosse vers les dorures du plafond de l'opéra, elles emplissent la moindre parcelle de l'espace, tandis que l'ombre du maudit, déroule son long manteau de nuit. L'orchestre, que porte à bout de bras le chef transcendé, hisse les voiles d'une musique qui bascule sous les flots déchaînés des percussions et je m'agrippe aux accoudoirs pour ne pas chavirer, pour ne pas couler à pic dans cet océan de musique, dont je sais que je ne voudrai jamais revenir, condamnée volontaire à l'errance éternelle et qu'aucun ange ne vienne adoucir la sentence!
Ritournelle des rues, fracas sismiques wagnériens, la musique a fait le grand écart, elle creuse le ciel.

mardi 26 janvier 2010

Harold et Maude

Nous sommes en 1971. Apollo XIV va partir pour la lune, Stravinsky, Channel et Amstrong quittent eux aussi la planète bleue mais sans espoir de retour, et avec ses pois sauteurs du Mexique, Pif Gadget réitère le record du million d’exemplaires vendus.
A la fin de cette année, sort dans les salles de cinéma américaines un film : Harold et Maude. L'improbable rencontre entre Harold, un jeune homme suicidaire de 20 ans, issu de la haute bourgeoisie, et Maude, une anticonformiste militante qui va fêter ses 80 ans. A l'époque de sa sortie, c'est une mini-bombe, il va cumuler interdictions et restrictions. Typique des années 70, le film célèbre la liberté, la nature, il fustige le militarisme et les conventions sociales. Le passe-temps préféré du personnage principal, Harold, est d'assister aux enterrements et de se promener dans les cimetières. Les amateurs du film vont adopter la même distraction, et créer le terme Harolding . "Maudianisme" désigne la "philosophie de vie"de l'autre personnage. La musique est de Cat Stevens. Depuis des jours j'ai cette chanson dans la tête: " If you want to sing out... Bien, si tu veux crier, crie ! Et si tu veux être libre, sois libre. Car il y a un millions de façons d'être. Tu sais que c'est possible".
J'ai visionné le film à nouveau et il est toujours aussi... rafraîchissant! Maude aime la vie, collectionner les bibelots, la musique, poser nue... Elle regarde toujours droit devant, comme s'il elle avait encore tout à découvrir... Juste un tatouage sur son avant-bras, ramène un instant, à la barbarie des hommes.
"Il n'existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n'existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété..." écrit Kundera dans l'Insoutenable légèreté de l'être. Alors Maude trottine et traverse l'existence en sautillant, elle s'engouffre dans le présent et c'est jubilatoire!
Je me suis souvenue que j'ai croisé des "Maude". Je leurs dois ce goût exacerbé pour les choses du monde à côté desquelles on passe si souvent: une lumière qui descine un kaléidoscope sur les dalles usées, un vieil homme qui gratte inlassablement son ticket de loterie, l'acidulé d'un parfum, la nodosité d'un olivier centenaire. Des riens, mes touts.

Harold : Est-ce que vous priez ?
Maude : Prier ? Non, je communique !
Harold : Avec dieu ?
Maude : Avec la vie

dimanche 24 janvier 2010

Le conte de la guerre des loups

A l'aube de l'aurore du monde, un vieil homme accroupi près d'un feu, entretient les dernières braises. Ses os usés, récupèrent d'une longue marche en forêt. Le clan dort, tout près, épuisé de survivre. Lui, veille, il est le guetteur, celui dont l'oreille habituée au moindre bruissement, se dresse à la moindre alerte. Un crissement, il se retourne, c'est OAH HOAR, fruit de la lune descendante, l'aîné des fils de son fils premier né.
- tu dois dormir, petit, après une si longue marche
Dans la terre des hommes on a developpé le langage, pour raconter d'abord: "j'ai vu..., j'ai fait... Les notions de passé en premier, et de futur ensuite . Puis on a partagé sa curiosité. On a argumenté aussi, sur des éléments qu'on n'avait pas sous les yeux. La vantardise a créé du langage, l'invention, et aussi le mensonge...
Aujourd'hui, plus qu'hier, l'aïeul, GROR HOAR, grand des fils de la lune descendante, possède les mots pour raconter. L'enfant aux yeux pâles s'approche du vieillard. La nuit s'étend sur toute chose en absorbant les bruits du jour.
L'enfant aime la voix monocorde du vieux chasseur, qui sait et qui conte les histoires des temps anciens.
Cette nuit, où aucune brume ne voile la clarté de la lune, le vieil homme, les yeux fixés sur le feu du clan, raconte comme pour lui même:
- je sens, au fond de mon coeur, sourdre une étrange bataille, une guerre sans merci, que se livreraient, à l'intérieur de moi même, deux loups rivaux, d'une même lignée. L'un est doux, paisible, fier d'appartenir au groupe, de le protéger et le défendre sans en tirer aucune gloire, calme et effacé. Le second lui est orgueilleux, fier, féroce et sans pitié, dominant, il a des rêves de puissance.
- et qui des deux va gagner grand-père? demande le jeune OAH HOAR qui s'est accroupi près du feu.

- celui que je vais nourrir le mieux mon fils.*

* conte librement inspiré d'une lecture de mon enfance

jeudi 21 janvier 2010

Marguerite Duras, vous étiez bien au rendez-vous!

"C'est donc pendant la traversée d'un bras du Mékong, sur le bac entre Vinhlong et Sadec dans la grande plaine de boue et de riz du sud de la Cochinchine, celle des Oiseaux...". Dans quelques minutes, va s'avancer une Moriss Léon-Bollée, noire. Marguerite ne sait pas encore que ce bac va l'a faire traverser de l'autre côté de son enfance. Appuyée sur le bastingage, elle voit sous ses yeux se lover les bras du fleuve à l'intérieur des terres. "Dans le soleil brumeux du fleuve, le soleil de la chaleur, les rives se sont effacées, le fleuve paraît rejoindre l'horizon. Le fleuve coule sourdement, il ne fait aucun bruit, le sang dans le corps. Pas de vent au dehors de l'eau. Le moteur du bac, le seul bruit de la scène...". C'est fini Marguerite, à cet endroit du fleuve, il y a un pont, qui tire une langue de bitume rêche aux bielles de ton enfance.
J'ai pris un bac, ailleurs, pour pouvoir traverser avec toi cette étendue d'eau qui te rapproche de toi même.
Sadec, "où ma mère dirige l'école des filles"... l'école est encore là, et les enfants, juste avant la récréation, ânonne une poésie ou une table de multiplication. Le lycée français à Saigon, les décors du film que vous n'avez pas aimés.
Je cherche l'infime partie de vous que vous avez laissée ici. Comme Long John Silver, je déchiffre, pas à pas, les signes que vous avez enfouis aux détours de vos lignes, pour me mettre sur la piste. J'ai vu les femmes aussi, porter le même bracelet de jade qui ne vous a pas quittée. J'ai senti la douceur de tussor de la peau de l'amant, quand le vent s'est mis à jouer avec mon foulard de soie. J'ai fait tout ce chemin pour aller à votre rencontre! Ceux qui ont lu Viento savent que vous me manquez, Marguerite. Marguerite de l'Indochine, dans Saigon aux odeurs entêtantes de jasmin, des tangos d'un soir dans la rue Catinat, des effluves d'opium, des maisons coloniales, des filles à matelots et des pensions de jeunes filles*... Voilà c'est fait, je suis venue au rendez-vous et vous étiez là, sous le chapeau bois de rose, avec votre robe de soie et vos chaussures de bal éculés. Vous étiez là et je n'avais plus rien à écrire, je voulais juste lire par dessus votre épaule, lire, toujours la même histoire recommencée, j'ai presque entendu votre voix altérée de l'alcool et du tabac me chuchoter : «L'écriture, c'est moi. Donc moi, c'est le livre».

lundi 18 janvier 2010

Le Mekong, le monde du fleuve

Le soleil se lève sur le Mékong, une brise légère s'est levée, elle tourne une à une les pages de mon carnet de bord.


Le soleil inonde le Mékong, gras, brun et vert. Il charrie nuit et jour toute l’activité du monde du fleuve. Les sampans, chargés de denrées alimentaires, de fleurs et de poissons glissent sur son cours régulier. Le fleuve musarde aussi par endroit, laissant dans son sillage une luxuriante végétation tropicale. Il entoure de ses bras un univers entre terre et eau et dessine un labyrinthe d’îlots où seules les pirogues assurent le transport. On vit, meurt, joue, courre et travail dur sur ses rives. Les conditions sont rudes pour An, il raffine du sel, torse nu, dans une chaleur moite et lourde, les mains crevassées d'être toujours dans l'eau.
Huy, a un petit jardin potager, il récolte le miel de l’essaim d’abeilles, qui se sont installées sur un de ses arbres. Sous le haut vent de sa maison, il a construit une petite estrade de bois et fixé au mur deux cartes, celle du Vietnam et celle du monde.
- j’apprends à Mai Phuong, où se trouve les villes et les pays. Même si elle ne voyage jamais, elle connaîtra le monde.
Et Mai Phuong, qui veut dire parfum de la fleur d’abricot, écarquille ses grands yeux noirs. En me donnant la main, elle regarde cet étrange papa géographe, tracer des routes imaginaires sur le mur de sa maison.
Nous continuons à descendre le fleuve pour rejoindre Can Tho et le marché flottant. Un nombre incalculable de sampans et de barges croule sous les légumes et les fruits. Les femmes achètent, vendent, s’interpellent, certaines cuisines, d’autres mangent ou bercent des enfants dans les hamacs. On ne peut pas se perdre, chaque vendeur a une enseigne : une tige dressée sur l’embarcation où il plante le légume ou le fruit qu’il propose à ses clients.
Goûtez par exemple ce gâteau sucré au riz gluant, des Long Nhan qui ressemblent tant au litchies ou bien les caramboles.
Sur la rive les maisons sur pilotis, s’enracinent au fleuve, elles se lient à lui, elles le sentent palpiter, monter et descendre.
Le Mekong : un cœur d’eau au sang de limon.

dimanche 17 janvier 2010

Saigon, un ciel d'escarboucle

J’ai rejoins Thành phố Hồ Chí Minh, Ho-Chi-Min Ville, Saigon.
Posée sur les rives du Mekong, près de huit millions d’habitants (et autant de mobylettes), s’affairent toute la journée, dans le poumon économique du Vietnam, une vraie fourmilière ! D’autant que le nouvel an lunaire approche. Tout le monde se prépare, surtout à Cholon, le quartier chinois, où les étals regorgent de lanternes, de costumes chatoyants et de décorations de papier.
Binh Tây, le marché est en ébullition, c’est un véritable labyrinthe où les marchandes, perchées au milieu de leurs produits, semblent vivre, manger et dormir sur place. Tout autour du marché, des boutiques, des gargotes, des ateliers, des coiffeurs ou des rémouleurs, si importants pour affûter les ciseaux des tailleurs.
Pour trouver un peu de calme, je m’engouffre dans la rue Thuan lan ong, où les herboristes proposent leur pharmacopée traditionnelle, herbes, décoctions, alcool de serpents. Chance! Un commerçant inaugure sa boutique. Pour qu’elle soit prospère, il a contracté un groupe de danseurs, qui va traverser le quartier au rythme des tambours, en faisant ramper un magnifique dragon de papier et une licorne. Je suis le cortège, applaudit par les enfants, jusqu’à une pagode, où le généreux donateur va déposer ses offrandes. Des spirales d’encens sont suspendues au plafond, elles brûleront pendant une semaine. Hommes et femmes s’inclinent pour honorer le ciel et la terre, les esprits protecteurs et les ancêtres. Puis le cortège s’ébranle à nouveau jusqu’au parvis.
Je fais un crochet par la Poste Centrale dont la voûte métallique imposante a été conçue par Gustave Effel et vers l’église Notre Dame, construite en briques venues tout droit de Toulouse, notre chère ville rose : « qu’il est loin mon pays, qu’il est loin, parfois au fond de moi se ranime, l’eau verte du canal du midi, et la brique rouge des Minimes ».
Déjà, les jeunes Saigonais aisés, commencent à se rassembler devant les bars branchés de la capitale du Sud Vietnam, ou dans les boutiques en vogue. Saigon tendance, avec ses boutiques Vesace et Vuitton. Saigon paradoxe, Saigon qui se transforme..
Saigon : entre un ciel d'escarboucle, et les flots incertains, du bruit, des gens de fièvre teints….

dimanche 10 janvier 2010

Hoi an, les marchands de la mer

Hoi an est une petite ville très commerçante. L’activité est intense depuis le matin très tôt au marché jusque tard le soir dans la rue principale. La ville s’appelait autrefois « faifo » : les marchands de la mer.
C’était une ville prospère, située sur les routes maritimes du commerce de la soie. Elle connut une expansion à partir du XVe siècle, les riches marchands y installèrent des comptoirs et construisirent de grandes et solides maisons en bois. Là encore je m’enfonce dans le marché, d’abord le coin des volailles et des cochons, puis les légumes et le poisson, que les pêcheurs ramènent, à quelques pas, sur le quai, à l’aube. Une femme, très coquette et maquillée, lit dans les lignes de la main d’une très vieille dame.
- je vois une grande longévité
La vendeuse de tomates chique du betel. Une chique de bétel est fabriquée avec de la noix d’arec pour le goût sucré, une feuille de bétel pour le goût piquant, l'écorce de racine chay pour le goût amer et de la chaux pour le goût ocre. De génération en génération, les femmes enseignèrent aux jeunes filles l'art de préparer minutieusement la chique. D'abord on ôte l'écorce verte de la noix d'arec, que l'on partage en quartiers réguliers, ensuite on coupe les feuilles de bétel . L'opération suivante consiste à prélever un peu de chaux, à l'aide d'une lame, d'en étaler une fine couche sur la feuille, d'y introduire les racines chay. La partie délicate est de rouler cette préparation pour qu'elle ne soit ni trop fine, ni trop épaisse, et d'utiliser le pétiole, taillé en pointe, pour l’empêcher de se dérouler.

Voilà un bonze, du bouddhisme « du grand véhicule », on le reconnaît à la couleur marron de sa robe et à sa besace couleur jaune. Petit véhicule et grand véhicule sont deux doctrines du bouddhisme. Le moine chevauche une mobylette pétaradante !
Mon guide s’esclaffe,
- un grand véhicule sur un petit véhicule!
Le regard espiègle de mon guide, illumine la grand rue. Je vous reparlerai de Monsieur Lan.
Bientôt nous allons prendre la route pour Danang, et rejoindre Saigon par avion, pour entamer, ensuite, la descente d'un des bras du Mekong. Difficile de se connecter à internet, je vous livrerai mes chroniques un peu en vrac. Autrefois, on disait qu'un écrivain n'avait vraiment besoin que d'une chambre tranquille, de papier et de soi même...

vendredi 8 janvier 2010

Visage de Danang

Après avoir traversé le col des nuages, me voici près de Danang, au carrefour des routes menant au Laos et à la Thaïlande, de la voie ferrée transvietnamienne. Avant de rejoindre Ho nai, je vais passer la journée dans une ferme dédiée à la culture de plantes aromatiques. On longe les rizières où l'on repique le riz, puis voici la mangrove, un marais tropical où foisonnent les palétuviers. Enfin la ferme, où les carrés aromatiques, dessinés aux cordeaux, embaument de citronnelle, basilique, menthe et coriandre. L'accueil est doux comme l'herbe fraîche sous les pieds d'un marcheur du désert. Après un massage aux plantes, me voici aux fourneaux. Ma mission: confectionner des galettes de riz et des nems végétariens. La dextérité de mes professeurs n'a d'égal que la patience avec laquelle ils me regardent enrouler coriande, crevettes et petits bouts de porc, avec un fin poireau cuit à la vapeur!
Une vieille femme tourne autour de moi, en maugréant et répétant une incompréhensible litanie.
Elle est une des victimes des bombardements de la guerre du Vietnam. Aujourd'hui encore, comme tous les naufragés de tous les clans, de toutes les guerres, elle tente de survivre, en équilibre fragile, sur le radeau qu'a bien voulu lui laisser prendre les derniers jours de sa vie. Elle a de petits brins d'herbe odorantes dans le trou de ses oreilles... sans doute pour oublier le bruit des bombes et ne sentir que le vent qui passe dans la fraîcheur du basilique à peine coupé. Elle se perd parfois dans un souvenir, le regard vague, absente et silencieuse. Elle rallume le sempiternel mégot qu'elle coince entre ses lèvres désséchées, et recommence son monologue. On dit qu'elle a un fiancé, un monsieur sourd, à cause du bruit des bombes, qui la regarde de loin, un peu désespéré et me fait signe presque en s'excusant, qu'il ne faut pas faire trop attention à elle. C'est pourtant son visage et sa douleur que je vais emporter. " Pour parler de la guerre, il n'y a que les larmes", le silence aussi et les vieilles dames qui étaient déjà mortes, quand elles étaient jeunes filles.

jeudi 7 janvier 2010

Hue, la cité de l'empereur

"Entre Saigon l’Insouciante et Hanoi la Laborieuse, voici HUE la Poétique". Hue a toujours séduit le voyageur par le cadre enchanteur de sa Rivière des Parfums, le charme vétuste de ses tombeaux royaux, ou la grâce de ses jeunes filles en tuniques blanches. Autrefois, capitale, sa citadelle est construite sur le modèle de la Cité Interdite de Pékin. Hue, ville des lettrés et des poètes : Nous l’aimons entre toutes, cette ville où, au milieu de douces collines, la Rivière des Parfums déroule nonchalamment son écharpe scintillante. Tombeaux impériaux et citadelle, la ville est attachante et beaucoup plus calme qu'Hanoi. Dans la citée impériale, dévastée pendant la guerre, j'aime à imaginer l'empereur, gravissant les marches qui mènent à la salle du trône, dont tout le plan obéit aux règles du feng shui. Le Feng Shui signifie « vent et eau » et revèle que notre vie est reliée aux mécanismes de l’univers et de la nature. L’homme est donc directement affecté par son environnement. Paravents de pierre, bassins, chaudrons de bronze, licornes et dragons, chauve-souris et signes de longévité, l'architecture entière ici, tend vers l'équilibre du ying et du yang.
Le voici maintenant qui se rend chez les concubines, gardées par des eunuques, souvent soudoyés pour laisser batifoler les fripons de la cour impériale. Suivez-moi dans le théâtre où la troupe impériale se donne en représentation.
Après cette promenade, départ pour un monastère bouddhiste où l'on m'a organisé une rencontre avec des bonzes. L'endroit est un havre de paix propice à la médidation, les novices viennent d'achever une de leurs leçons et se rendent au temple pour prier. La cloche et les tambours appellent à la prière, les bâtonnets d'encens exhalent leur parfum, le rituel va commencer. Chants et psalmodies alternent, tandis que les jeunes bonzes s'inclinent vers l'autel, sous le regard des trois représentations de bouddah: celui du passé, du présent et de l'avenir, qui parle à nos coeurs : avec nos pensées, nous créons le monde! Après avoir reçu avec beaucoup d'émotion, un habit de novice marron et sa besace jaune, je retourne au monde, en silence, par le sentier ombragé près du bassin aux nénufars. La lumière du soir pose une teinte safran sur les frangipaniers qui borde le sanctuaire. Des questions pleins la tête. Tout à coup, à ma droite j'entends un cri de joie. Sur un terrain improvisé, un jeune novice vient de marquer un penalty à un "bonze gardien". Bah, qu'importe la manière d'arriver au but, c'est le résultat qui compte.

mercredi 6 janvier 2010

Halong, le livre de la jonque

Silence du soir qui tombe sur la baie, à peine dérangé par le clapotis de la jonque ventrue qui glisse sur le miroir de l'onde. Les îlots se croisent, dans le reflet d'un scintillement d'écailles de poissons d'argent. Un monde immobile, posé sur l'eau, s'endort, tandis que des sifflets retentissent aux sommets des rochers, là où les oiseaux nichent pour la nuit. Le cuisinier de la jonque répond par la mélopée lancinante d'un chant de la rivière, là haut dans le nord. Qu'est-ce qu'un instant d'éternité? L'absence de mouvement, l'air en suspend, la nature qui retient son souffle et vous entraîne dans cette interminable apnée. La paix, mêlée d'un soupçon de crainte, quand la terre s'étonne encore de voir mourir le jour.
Halong, veut dire la descente du dragon, on raconte que le paysage exceptionnel de cette baie serait dû au dragon, qui serait descendu dans la mer pour domestiquer les courants marins. Se débattant, il aurait ainsi entaillé la montagne avec sa queue. Et comme le niveau de l'eau serait monté, seuls les sommets les plus élevés auraient émergé. Le peuple de la mer, qui oscille entre ciel et terre, se prépare à la nuit. Un pêcheur tire un trait d'écume sur sa journée, il rentre flotter à la maison, tandis que les dragons ronflent en silence. La nuit est là, noire comme l'encre de chine. Pas de lueurs, pas de lumière, pas d'étoiles, pas de vent. Juste l'odeur âcre des senteurs de fond de cale. Une nuit comme on n'en voit plus en occident, insondable, vampire noctambule qui a ouvert sa cape et qui ne lâchera sa proie qu'une fois le petit jour revenu. Le sommeil des pêcheurs fourbus commence, oubliés de tous, dans la moiteur verte de la baie d'Halong.
A l'aube, un "grain" s'est approché, la pluie claque sur les hublots, un seau roule sur le pont. La lune éclaire la mer, qui tape en vagues régulières contre la coque. Le matin est arrivé, gris et brumeux, les pêcheurs sont au travail, depuis hier, depuis toujours, et avant eux le père de leurs pères. Je regarde Halong ruisseler, tandis qu'une barque amène quelques enfants à l'école du village flottant. Un milan passe, ses ailes déployées... je sais que je ne reviendrai jamais, comme partout où je voyage. Je laisse derrière moi des destinations mille jours espérées. On ne retourne pas là où on a concrétisé un rêve, on l'emporte avec soi à tous jamais... un jour on repensera au petit garçon appliqué, qui apprenait à écrire l'alpha...Baie !

lundi 4 janvier 2010

Dernier jour à Hanoi

Dernière après-midi à Hanoi. Ma ballade m’amène d’abord sur le petit marché coloré « Hang Be » où pendant que les femmes s’affairent autour des bassines de poissons, quelques hommes s’affrontent dans une partie de « belote locale » acharnée. Un perdant a du faire voler les cartes de dépit, j’ai retrouvé un roi de cœur entre deux fruits qu’on appelle ici les doigts du bouddha !
Puis promenade dans le quartier des 36 guildes direction le lac de l’Epée restituée.
Entre le monde bruyant de la ville et le calme de la pagode, un pont de bois. Sa couleur rouge éclatant, et l’arrondit de son arche, semble rappeller aussi aux hommes qu’il existe une passerelle fragile entre la terre et le ciel.
Sous le préau, les joueurs d’échec chinois, poursuivent leur partie, imperturbables, sous le regard des badauds. Ce jeu s’appelle le Xiangqi ou jeu de l’éléphant. Il est apparu en Chine il y a environ 3500 ans et le caractère "xiang" signifie éléphant. Il faut dire aussi que le premier empereur, Huang Di, utilisait un troupeau d'éléphants dans son armée. Patiemment, grâce à mon interprète et après mille détours du français, à l’anglais et au vietnamien, je décrypte que Le Xiangqi est un jeu de pure stratégie, qu’il se joue sur un damier de 90 cases, avec 32 pièces (le général, le mandarin…), disposées aux intersections et non au centre des cases. Les pièces portent d'un caractère chinois qui en indique la valeur. Tout autour des joueurs, flotte une odeur d’encens, qui monte d’un grand chaudron en bronze où l’on plante les fins bâtonnets. Plus loin, une jeune femme brûle des faux billets dans un petit four en terre, destiné aux offrandes, près de la pagode Ngoc Son. A l’intérieur, une vieille femme, main jointe récite une prière muette devant les statues aux regards éternels. Les volutes bleues, montent toujours plus haut dans la charpente vermillon, je me surprend à accompagner la vieille dame dans sa prière : Peut-être parce que lorsque vous priez, «vous vous élever pour rencontrer dans l'air , ceux qui prient à cette même heure , et que, sauf en prière, vous ne pourriez rencontrer »…
Demain départ pour Halong. Plusieurs jours en jonque. En fonction des "possibilités internet" au cours du voyage, je poursuivrai tant bien que mal ce carnet de bord en ligne.

Hanoi, Temple de la Littérature

Hanoi s'est levé tôt. Vers sept heures, les klaxons des mobylettes m'ont servi de radio réveil. Une brume grise et humide recouvre la ville qui devrait se lever vers midi.
« Lorsque l'on se cogne la tête contre un pot et que cela sonne creux, ça n'est pas forcément le pot qui est vide. » Voilà une des nombreuses maximes de Confucius, dont je visite le temple aujourd’hui. Construit en 1070 et consacré au culte de Confucius, ce temple, appelé aussi Temple de la littérature accueillait jadis les princes et les enfants des mandarins. Ce fût en fait la première université du Vietnam. On y enseigna pensée et morale confucéennes jusqu’à la fin du XVIII° siècle, date à laquelle l’université fut transférée à Hué.
Il prend pour modèle architectural la pagode littéraire de Kien Fou, le village natal de Confucius. Divisé en cinq cours intérieures, l'édifice est considéré comme la représentation la plus aboutie de l'architecture vietnamienne traditionnelle.
Des musiciennes traditionnelles donnaient un concert ce matin, tandis qu’un groupe de coréens se retrouvaient pour une prière communautaire dans le temple. Au sein de l'université, des stèles, posées sur des tortues de pierre signe de longévité, portent en caractères chinois, la liste des candidats reçus aux prestigieux concours organisés en des temps où l'on épinglait pas encore les listings éphémères des candidats reçus au baccalauréat.

Si les rêves sont la nourriture des Dieux, le déjeuner est indispensable aux humains. Menu de ce midi: nems, boeuf sauté aux champignons noirs, salade vietnamienne aux petits morceaux de poulet, un délice!

dimanche 3 janvier 2010

Hanoi, premier jour.

Me voici donc à Hanoi, il est 21h45 (15h45 en France). Après onze heures de vol, première promenade. La ville qui compte sept millions d'habitants, va fêter son millénaire l'an prochain, (nouvel an chinois en février) aussi Hanoi s'est couverte de fleurs et de lumières. Un essaim vrombissant de mobylettes, bourdonne tout au long de la journée, à peine couvert par des klaxons assourdissants qui sont les seules lois de circulation ici. La pollution prend à la gorge et les cyclomotoristes portent des masques sur le nez et la bouche. J'ai fait un tour dans les rues, autour de l'hôtel en plein coeur de Hanoï, puis je suis partie vers le marché. On avance sur deux allées étroites de minuscules commerces, coincées entre deux rangées de maisons. Quelle profusion de fruits aux couleurs chatoyantes, des crevettes, des tourteaux vivants, des tortues et des carpes, des petits étals d'épices, de fleurs et de viande crue !
Cha Ca La Vong , une auberge, en étage, dont la fenêtre donne sur la rue. Sept décades d'un secret culinaire bien gardé : le poisson du fleuve rouge au curry. Un jeune homme amène un brasero, plein de charbons ardents, sur lesquels il pose une poêle en fer blanc, il mélange du poisson en sauce, avec des plantes aromatiques, il touille et retouille encore. Dans un bol vous mettez les nouilles cuites à la vapeur, et vous ajouter le poisson et son jus, succulent! On dit que le secret viendrait de quelques gouttes d'une glande de scarabée. Goûts, bruits et senteurs du fleuve, les sensations sont fortes pour la première journée. Demain, c'est le temple de la littérature qui m'attend, fabuleux présage!



vendredi 1 janvier 2010

Mon voyage a déjà commencé...

Les voyages commencent longtemps avant le départ. Entre hier et aujourd’hui j’ai déjà pris un aller simple pour Vientiane au Laos, via Kaboul .
C’est à la hauteur de la Pyramide du Louvre, que le chauffeur m’apprend qu’il est Afghan.
- la situation est si compliquée, je ne sais pas si nous verrons la paix revenir dans les rues de Kaboul. Massoud le savait.
Retour sur image.
Massoud se bat depuis plus de vingt ans dans la vallée du Panjshir, dans le nord-est de l’Afganistan. Plus de dix ans de maquis en luttant contre l'Armée rouge, avant de prendre ses fonctions politiques dans le gouvernement mis en place lors du retrait soviétique.
Miné par les rivalités des chefs de guerre, l'Afghanistan tombe entre les mains des taliban en 1996. Massoud, qui défend Kaboul, préfère se retirer plutôt que de voir la capitale criblée de bombes. Depuis, il organise les troupes de l'Alliance du nord dans les montagnes et coordonne l'action politique du gouvernement déchu.
Chaque jour aussi, dans la solitude, après les journées de combat, le commandant Massoud écrit dans un journal, des dépenses à prévoir, les poèmes qu'il affectionne, des lettres aux grandes puissances : « J'ai passé ces vingt dernières années, la plupart de ma vie d'adolescent et d'adulte, aux côtés de mes compatriotes, au service de la nation afghane, à mener une dure bataille pour préserver notre liberté, notre indépendance, notre droit à l'autodétermination et à la dignité. »
Le 3 avril 2001, un mardi, le commandant Massoud arrive dans un avion privé, pour un marathon de deux jours entre Paris et Strasbourg. De cette visite éclair, je me souviens qu’on ne l’écoutait pas. Il est assassiné le 9 septembre.
Je passe donc les dernières heures de 2009 dans les rues de Kaboul, toujours en guerre, mon taxi conduit par un père de famille Afghan.

En approchant de l’aéroport, Kevin, le chauffeur de taxi, m’apprend qu’il vient du Laos. De 6 à 14 ans il a été bonze dans un monastère jusqu’à ce que sa famille le rapatrie sur la France.
- nous avions une heure de méditation chaque jour. Ces années de monastère m’aident encore aujourd’hui, sans cela, je ne verrai pas le monde de la même façon. J’ai appris à ne pas accumuler rancœur, haine, peine ou tristesse. Trop encombrant pour un voyage. Je ne garde que les choses dont le souvenir peut me faire sourire.
- c'est comme le vin alors, il garde un peu du soleil, et de la pluie, mais il n’est ni le soleil ni la pluie. Il est autre chose.
Le taxi s’enfonce dans la grisaille de Roissy, entre des buildings de verre qui ne reflètent rien du ciel. A l’arrière, j’ai déjà commencé mon voyage, conduite en douceur par un ancien moine bouddhiste. "Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas."

Bonjour 2010

Une année nouvelle commence, qu'elle soit pour vous tous, l'année où vous accomplirez vos projets, où vous pourrez voir se concrétiser vos rêves.
Je vous souhaite une excellente santé, pour pouvoir courir, rire, marcher, musarder au soleil, voyager, chanter, bricoler, peindre, faire de la musique ou de simples courses.
Que 2010 puisse vous faire sourire et vous émouvoir et vous permette toujours d'être un veilleur, un guetteur à l'affût des temps forts de ce monde.

Belle et douce année 2010 !
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